Commémoration des 80 ans des évènements de Raccord
A l’occasion des 80 ans des évènements de Raccord, une commémoration a eu lieu sur le site, au hameau de Raccord et au cimetière de La Motte Saint Martin, le dimanche 26 mai 2024.
Cette page reproduit ci-dessous le discours prononcé écrit et prononcé par Roland Steiner, parent de Eugène Steiner, un des 3 fusillés. Ce discours est également accessible en version PDF.
Mesdames et Messieurs les élus, Mottoises et Mottois, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
Merci beaucoup de me donner la parole. C’est avec une immense émotion que je m’adresse à vous ici, en ces lieux, où nous sommes réunis pour commémorer les évènements tragiques qui se sont déroulés il y a près de 80 ans, le 30 mai 1944.
Souvenons-nous !
Ici, en ces lieux, il a 80 ans ; la barbarie nazie et ses zélés auxiliaires français ont assassiné 3 hommes : Émile MANDEL, Joseph MANDEL et Eugène STEINER.
Émile MANDEL
Né en 1893 à Vienne en Autriche. En 1925, il épousa Else SCHNEIDER. Le couple eut en 1929, un garçon, dénommé Kurt. Sans doute le seul enfant du couple.
A Vienne, Emile faisait commerce de textile et de vêtements.
Par l’« Anschluss » du 12 mars 1938 l’Autriche fut rintégré au 3e Reich et soumis avec une très grande célérité aux lois antisémites allemandes. Pour identifier plus facilement les juifs, on accola systématiquement le prénom d’Israël aux hommes et Sara aux femmes.
Sans doute antifasciste repéré, dès le 31 mai, Émile fut arrêté et incarcéré au camp de Dachau dans la catégorie « Schutzhaft-Jude » (Rétention de sécurité – Juif). En septembre, il fut transféré au camp de Buchenwald. Il fut libéré et retourna à Vienne fin avril 1939.
En son absence, il a été spolié d’une partie de son patrimoine.
Dès sa libération, il demanda à émigrer en Belgique. Fin juin 1939, il quitta l’Autriche pour la Belgique.
Il s’établit en Flandre sans doute pour des raisons linguistiques. En quittant l’Autriche, il perdit la nationalité autrichienne et devint apatride, le reste de ses avoirs en Autriche fut saisi. Avec beaucoup de difficultés, il rechercha un emploi. Il tenta, en vain, d’obtenir la nationalité belge.
En juin 1940, comme Juif étranger, il fut expulsé, avec son frère Joseph, vers la France.
En 1940, son épouse Else et son fils, Kurt restèrent à Anvers, où ils survivaient tant bien que mal.
En juillet 1942, Else et Kurt furent arrêtés dans un train entre Anvers et Bruxelles, sans doute piégés par une fausse proposition d’embauche. Ils furent internés à la caserne Dossin à Malines.
Le 29 août 1942, ils furent tous les deux déportés au camp d’Auschwitz.
Ils sont sans doute arrivés le 31 août à Auschwitz où ils furent immédiatement assassinés. Kurt MANDEL n’avait pas encore 13 ans.
Joseph alias Jacques MANDEL
Le prénom connu à La-Motte-Saint-Martin était Jacques en réalité son prénom était Joseph.
Né en 1903 à Vienne en Autriche. Il était le frère d’Émile.
En 1936 il épousa Grete SCHNEIDER, la sœur d’Else, la femme de son frère Émile.
Comme son frère à Vienne, Joseph faisait commerce de textile et de vêtements.
Comme son frère quelques mois plus tôt, le 16 novembre 1938, il fut arrêté et incarcéré au camp de Dachau dans la catégorie « Schutzhaft-Jude » (Rétention de sécurité – Juif). Il fut libéré et retourna à Vienne en janvier 1939.
Puis , quelques jours plus tard, il émigra clandestinement en Belgique. Lors des démarches en Belgique il lui fut souvent reproché sa présence clandestine dans le royaume belge.
Il s’établit en Flandre et à la fin du premier semestre 1940, comme Juif étranger, il fut expulsé, avec son frère Émile, vers la France.
En France il a suivi le même parcours que son frère. Son nom figure parmi les bûcherons employés par le Service de Production Forestière de l’Isère.
En 1940, son épouse Grete resta à Anvers, où elle survivait tant bien que mal.
En juillet 1941, avec un ressortissant allemand, elle réussit à passer en Suisse où elle résida jusqu’en novembre 1945.
Le 14 novembre 1945, Grete retourna en Belgique dans la banlieue bruxelloise où elle vivait encore dans les années 1960.
En France, pendant près de 4 ans, les frères MANDEL ont suivi le même parcours qui s’acheva ici, le 30 mai 1944.
Arrivés en France, ils furent arrêtés, internés successivement, en 1940, au camp de Saint-Cyprien dans les Pyrénées-Orientales, puis au camp de Gurs dans les Pyrénées-Atlantiques. Enfin en 1941, ils furent transférés au camp des Milles dans les Bouches-du-Rhône.
Je vous rappelle que le 20 janvier 1942, à la conférence de Wannsee, sous la direction d’ HEYDRICH, fut mise au point l’organisation de la « solution finale de la question juive ».
Profitant d’un chantier hors du camp où ils étaient astreints à travailler, ils s’évadèrent, pour rejoindre l’Isère. Ni la date de leur arrivée, ni leur parcours entre Aix-en-Provence et l’Isère ne sont connus.
Joseph a été retrouvé dans les archives du Service de la Production Forestière, ils sont sans doute arrivés avant l’occupation italienne qui a débuté le 11 novembre 1942.
« Officiellement », ils étaient domiciliés à Seyssinet.
En Isère, ils travaillaient pour l’entreprise Périsse qui, elle aussi, était domiciliée à Seyssinet. Cet emploi leur servait de couverture et leur donnait les moyens de subsistance.
Les frères MANDEL étaient francophones. Ils étaient connus et intégré en Matheysine.
Eugène STEINER
Né en1922 dans un petit village de l’Est Mosellan, Lambach, situé dans les Vosges du nord au Pays de Bitche. Sa mère était la sœur à mon grand-père maternel.
Il passa sa jeunesse au village jusqu’à la fin août 1939. Le village se trouvait dans la zone rouge des fortifications de la ligne Maginot.
Sans ménagement, le 1er septembre 1939 les habitants du village furent évacués à Lagarde dans le département de la Charente. Ainsi Eugène partit avec ses parents, son frère et ses sœurs.
En juin 1940, en Charente, son frère Victor, né en 1920, fut incorporé dans l’armée française.
Après l’armistice avec l’Allemagne, l’occupant et Vichy firent pression sur les alsaciens et les mosellans évacués afin qu’ils retournent dans leur département d’origine.
Fin 1940, la famille STEINER retourna à Lambach sans Victor. Où elle retrouva sa maison pillée et vandalisée.
Dès juillet 1940, en violation du droit international, l’Alsace et la Moselle furent annexés de fait au Reich allemand. Les nouveaux maîtres engagèrent immédiatement une germanisation brutale à marche forcées.
En 1941, le « Gauleiter » BURCKEL (administrateur civil), instaura le RAD (Reichsarbeitsdienst) pour tous les jeunes mosellans. Premier pas vers l’incorporation de force des mosellans. Le 1er octobre 1941 Eugène fut incorporé au RAD, pour 6 mois, avec la classe 1922. Il fut libéré le 31 mars 1942 et retourna dans sa famille à Lambach.
Le 29 août 1942, une nouvelle fois, en violation du droit international, le « Gauleiter » promulgua une ordonnance instaurant le service militaire obligatoire pour les mosellans. Dès le 18 octobre, Eugène fut incorporé de force dans la « Wehrmacht ». Il intégra une unité qui combattait sur le front Est.
Après de lourdes pertes, en automne 1943, l’unité dans laquelle était incorporé Eugène vint se reposer et se reconstituer en Gironde. Victor, son frère, resté en Isère après sa libération du chantier de jeunesse de Monestier-de-Clermont, décida de faire évader Eugène de l’armée allemande. Avec l’aide de ses amis isérois, il lui procura de faux papiers, puis il l’exfiltra, en train, de Gironde pour le ramener en Isère.
Arrivé en Isère, avec l’aide de son frère, il intégra les chantiers de bûcheronnage et de fabrication de charbon de bois de l’entreprise Périsse. C’est ainsi qu’il arriva au hameau de Raccord. Des habitants du hameau des Côtes se souviennent de lui et des frères MANDEL. Certains leurs ont offert le gîte et le couvert .
Cet emploi lui servait de couverture et lui donnait des moyens de subsistance. Pendant son séjour à Raccord, il était hébergé par la famille PEYRIN alors que son frère Victor habitait aux Saillants du Gua.
Sa contribution à la résistance fut validée et son statut de résistant homologué, notamment suite au témoignage du capitaine Martial BARET sous-chef du secteur 5 de la résistance iséroise. Il fut déclaré « Mort pour la France » et son nom figure sur le monument aux morts de la commune de Lambach. A titre posthume, il a été décoré de la médaille militaire et de la médaille de la résistance.
Après la guerre, sa famille, fit transférer sa dépouille au cimetière de Lambach où il repose.
Souvenons-nous !
Que le même jour, 5 hommes furent arrêtés.
Le « Mémorial de l’oppression de l’Isère » indique que le détachement allemand arrêta cinq personnes le 30 mai 1944 à Raccord et que ces hommes ont été emmenés par l’occupant. Après avoir assisté à la mort de leurs amis, ils passèrent la porte de l’enfer répressif et concentrationnaire mis en place par l’occupant. Ils furent réduits en esclavage au profit l’industrie militaire nazie. Ils devaient servir puis périr sans laisser de trace dans le cadre du plan machiavélique « Nuit et Brouillard ».
Quatre de ces cinq hommes ont pu être identifiés avec certitude : Charles HOFFMANN, Alphonse KELLENBERGER, Edmond KUNTZ et Victor STEINER le frère d’Eugène. Le dernier, Robert PETRIN reste une énigme.
Alphonse KELLENBERGER
Né en 1920 à Teterchen en Moselle. Il est décédé à Metz en 1974.
En janvier 1939, il s’engagea pour 3 ans dans la marine. Il fut affecté à la DCA de Cherbourg. Le 19 juin 1940, il fut fait prisonnier. Libéré le 6 janvier 1941, il fut affecté à la DCA à Toulon. En janvier 1942, arrivé en fin de contrat, il sera libéré de ses obligations militaires.
Après son retour à la vie civile, il n’est pas retourné en Moselle sa terre natale annexée par les Allemands.
C’est début de l’année 1942, qu’il a sans doute rejoint La Matheysine et travaillé sur les chantiers de l’entreprise Périsse. C’est ainsi qu’il se trouva le 30 mai 1944 à Raccord.
Edmond KUNTZ
Né en 1913 à Teterchen en Moselle. Il est décédé à Noisy-le-Sec (93), en 1974.
Il était serrurier mécanicien de profession.
En 1938, il fit son service militaire dans un RIF (Régiment d’Infanterie de Forteresse), Régiment affecté à la ligne Maginot.
Le 2 septembre 1939, il fut mobilisé et affecté au SECEF. Un corps dont la mission consistait à l’exploiter et la maintenir le système électrique en amont de la ligne Maginot après l’évacuation des civils de zone rouge. La SALEC (Société Alsacienne et Lorraine d’Électricité) exploitait des barrages en Isère. Ces barrages de la SALEC étaient intégrés au système de défense et exploité par l’armée.
Il fut démobilisé le 15 juillet 1940 au « Centre Mobilisateur » de Bonnecombe en Lozère.
Il est sans doute arrivé en Isère car affecté à la maintenance des barrages.
Victor STEINER (frère d’Eugène)
Né en 1920 à Lambach en Moselle. Il est décédé à Thionville (57), en 1996. Il était cheminot.
Le 1er septembre 1939, il fut évacué en Charente avec le reste de la famille STEINER.
Le 10 juin 1940, il fut incorporé dans l’armée française.
Suite à l’armistice signé par la France avec l’Allemagne et l’Italie en juin 1940, il fut démobilisé le 8 août 1940. Le même jour, il fut versé au chantier de jeunesse n°9 « Le Roc » basé à Monestier-de-Clermont.
Fin 1940, sa famille, ses parents, son frère Eugène et ses sœurs quittèrent le département de la Charente pour retourner en Moselle.
Début 1941, il fut libéré du chantier de jeunesse. Il ne retourna pas en Moselle. Il resta en Isère. D’après ses écrits, il continua à travailler dans la proximité du chantier de jeunesse.
Il semblerait qu’il ait suivi le chantier de jeunesse qui fut déplacé en octobre 1943, à St-Magne en Gironde. C’est sans doute à cette période qu’il a aidé Eugène, qui se trouvait également dans le Sud-Ouest, à s’évader de la « Wehrmacht ». Il l’exfiltra, en train, de Gironde en Isère. Il est revenu en Isère où il continua à évoluer et travailler dans la sphère des anciens du chantier de jeunesse.
Début mai 1944, il reçut une convocation pour se présenter aux autorités allemande à Grenoble, pour être envoyé en Allemagne pensait-il. Il quitta définitivement le chantier de jeunesse pour aller se réfugier, aux Saillants du Gua, chez un ami qu’il avait connu au chantier, Eugène MATHIEU, un mosellan comme lui, facteur à Le Gua.
Contacté par la résistance, quelques jours avant le 30 mai, il se rendit à Raccord pour rejoindre son frère Eugène et un groupe de jeunes, ils attendaient avec lui l’ordre d’insurrection générale. C’est ainsi qu’il se trouva le 30 mai 1944 à Raccord.
Les trois mosellans : Alphonse KELLENBERGER, Edmond KUNTZ et Victor STEINER eurent jusqu’à leur libération, en 1945, un parcours identique. Après leur arrestation, ces hommes furent détenus par le SIPO-SD de Grenoble du 30 mai au 14 juin 1944 où ils furent interrogés, enchaînés, brutalisés et torturés. Ils furent jugés et condamnés par un tribunal militaire aux travaux forcés.
Le 14 juin, ils furent déportés au camp de Böhliz-Ehrenberg. Ils furent contraints de travailler dans une usine du complexe militaro-industriel nazi.
Le 7 juillet, ils furent transférés à Leipzig où ils resteront jusqu’à leur libération par les Alliés, le 30 mai 1945. Soit un an, jour pour jour, après leur arrestation.
Charles HOFFMANN
Né en 1901 à Heidelberg en Allemagne d’une mère badoise et d’un père alsacien. Il est décédé à Strasbourg en 1962.
En septembre 1939, il fut mobilisé dans une unité chargée de la garde des voies de communication. Démobilisé en 1940 en Isère, il décida de ne pas rentrer en Alsace annexée et s’installa à Grenoble. Une entreprise strasbourgeoise repliée en Isère, Force et Lumière, l’embaucha. En automne 1943, craignant d’être enrôlé de force, il quitta Grenoble pour se « mettre au vert » à La-Motte-Saint-Martin où il fut embauché par l’entreprise Périsse. C’est ainsi qu’il se retrouva sur le chantier forestier de Raccord le 30 mai 1944. Comme les trois mosellans, Après son passage au SIPO-SDS, il a été déporté, en juin 1944, dans un camp de travail à Bad-Elster en Saxe. Il fut libéré par l’armée américaine et rapatrié le 26 mai 1945.
Robert PETRIN
Selon le récit fait dans le « Mémorial de l’oppression », Robert PETRIN aurait été, à plusieurs reprises, particulièrement maltraité par le détachement allemand à Raccord. Il a été arrêté emmené avec les quatre autres puis emprisonné.
Dans les archives des victimes des conflits contemporains, le dossier d’un Parisien réfractaire du STO dont le nom et le profil pourrait correspondre, a été retrouvé. Dans l’état actuel des recherches, aucun élément ne permet de dire qu’il s’agit de la bonne personne.
Souvenons-nous !
De la famille PEYRIN-COLONEL dont ces lieux étaient le berceau et qui vivaient ici. Qui, sans doute, grâce au sang-froid et au courage d’Eugène PEYRIN eurent la vie sauve. Eux, dont les racines étaient à Raccord. Encore plus que les autres, ils ont porté, jusqu’à la fin de leurs vies la douleur de ce qu’ils avaient vécu chez eux sur leur terre. Le neveu d’Eugène, Pierre COLONEL, témoin et victime du drame chargea sa petite-fille Sophie de perpétuer la mémoire des victimes de Raccord. Engagement dont elle s’acquitte fidèlement.
Souvenons-nous !
Que tous ces hommes n’était pas dans ce remarquable département pour y faire du tourisme. L’Isère fut leur refuge.
Dès l’armistice de 1940 et la seconde annexion, les isérois ne restèrent pas insensibles au sort des mosellans. En effet, dès le 25 novembre 1940, la police de Grenoble trouva un tract signé « La France libre », titrant : « Voici le début de la collaboration ». L’auteur y dénonçait le sort fait aux « lorrains » et à la « Lorraine » par les Allemands avec la complicité des autorités de Vichy, avant d’appeler à rester calme et à se préparer à chasser les Allemands de France.
Des Mottois qui, au péril de leur vie, dans leur immense majorité ont manifesté leur hospitalité, leur humanité et leur solidarité à tous les pourchassés par Vichy, par l’occupant italien et puis par l’occupant allemand. Après le drame, avec courage, ils ont contrevenu aux consignes laissées par l’occupant allemand et ont inhumé dignement les dépouilles des 3 morts au cimetière du village. Eux n’ont jamais oublié les « Fusillés de Raccord ». De nombreux témoignages en attestent.
Souvenons-nous !
De ce lorrain, expulsé d’Alsace parce que francophone, Jean PERISSE, et résistant de la première heure. Qui, installé à Seysinnet, durant de longues années, au péril de sa vie employa sur ses chantiers forestiers, de nombreux pourchassés : juifs, alsaciens mosellans réfractaires ou évadés, réfractaires du STO, résistants recherchés. Lui aussi fut arrêté et déporté « Nuit et Bouillard ». Il séjourna aux camps de Buchenwald et Bergen-Belsen avant d’être libéré par les Alliés et retrouver, l’Alsace pour reprendre ses activités. A son retour en Alsace, il eut la famille DUHAUT comme client.
Souvenons-nous !
De tous ceux, amis et proches qui absents de Raccord le 30 mai mais qui n’ont jamais oublié ces hommes et ces lieux, de nombreux écrits en attestent.
Souvenons-nous !
Qu’en Moselle annexée, la famille STEINER qui avait perdu un de ses fils et qui resta sans nouvelles du second, fut jugée coresponsable des agissements anti-allemands de ses fils. Elle a dû affronter, pendant 6 mois, les menaces et les représailles du système répressif nazi et vivre avec l’incertitude quant au sort de Victor dont elle n’avait pas de nouvelles.
Souvenons-nous !
Ici, en ces lieux, au hameau de Raccord, le 30 mai 1944, plusieurs crimes de guerre ont été commis par la barbarie nazie.
En mai 1944
Vers la mi-mai, un groupe de maquisards, d’environ 25 hommes venant des Hautes-Alpes, s’était installé. Il projetait d’y installer un camp nomade pour former des jeunes recrues dans l’attente du débarquement et de l’insurrection générale.
Ce hameau avait été choisi car situé en montagne, dans le massif du Sénépy à près de 1250 m d’altitude et à une distance d’environ 7 km du bourg de La-Motte-Saint-Martin. On y accédait alors par un chemin à peine carrossable depuis le hameau des Côtes.
Le hameau comptait 5 maisons, l’une était occupée par la famille d’Eugène et Antonia PEYRIN, les 4 autres étaient occupées par des bûcherons de l’entreprise Périsse. La plupart des hommes présents étaient recherchés par les autorités d’occupation et par la milice. Il s’agissait de maquisards, de réfractaires du STO, de « malgré-nous » insoumis ou évadés, de Juifs …
Le groupe de résistants s’était installé dans le grenier d’une des 5 maisons. Ils disposaient d’un véhicule et descendaient régulièrement au village. Comme de nombreux groupes de résistants, les maquisards n’étaient que sommairement armés. Dans leurs déplacements, ils ne furent pas toujours très discrets et ont pu attirer l’attention.
Selon des témoins, au moins 70 personnes se trouvaient au hameau au soir du 29 mai 1944. Dans la nuit, alertés, tous les hommes recherchés quittèrent les lieux pour aller se mettre à l’abri en se dispersant dans la forêt. Un groupe de 8 hommes composé des frères MANDEL, des frères STEINER, de KELLENBERGER, de KUNTZ, de PETRIN et de HOFFMANN partit se dissimuler dans la forêt dans les environs du hameau.
Le matin du 30 mai, il ne restait, sur place, que la famille PEYRIN et quelques bûcherons de l’entreprise Périsse.
Le 30 mai 1944
Vers 3 heures du matin, environ 200 allemands en uniforme, mais ne portant pas d’insigne, se présentèrent au bourg de la commune de La-Motte-Saint-Martin. Le commando disposait de blindés légers sur chenilles.
Un officier allemand, sous la menace de son arme, a contraint le maire du village à les conduire au hameau de Raccord. Il fut installé dans la voiture de tête du convoi qui se dirigea vers le hameau.
À environ 1 km du hameau le convoi s’arrêta, les soldats allemands descendirent et prirent discrètement position autour des maisons. Au lever du jour, vers 4 heures du matin, la voiture de tête arriva au hameau sans que le moindre coup de feu n’eut été tiré. Le maire fut placé derrière le mur de la fontaine avec interdiction de bouger sous peine d’être abattu.
Presque simultanément, les Allemands pénétrèrent dans les maisons en enfonçant, à coups de crosse de fusil, les portes verrouillées, prenant les habitants dans leur sommeil. Deux des bûcherons qui se trouvaient dans l’une des maisons du hameau furent conduits manu militari en chemise et pieds nus à la fontaine où, les pieds dans l’eau, ils furent interrogés avec une grande brutalité. L’un d’eux fut battu avec un manche de hache.
De leur cache, le groupe de 8 hommes qui était réfugié dans la forêt, près du hameau, ne pouvaient pas voir ce qui se passait au hameau de Raccord. Vers 9 heures, croyant à une fausse alerte, ils décidèrent de rentrer au hameau.
Lorsqu’ils arrivèrent à une cinquantaine de mètres des maisons du hameau, ils furent surpris par une sentinelle allemande en embuscade, postée à proximité d’une des constructions avec un fusil mitrailleur. Sommés de s’arrêter, cinq hommes obtempérèrent en levant les bras, les trois autres (Émile MANDEL, Joseph MANDEL et Eugène STEINER) tentèrent de s’enfuir en escaladant le talus.
Sous les yeux des habitants gardés par les Allemands, ils furent fauchés tous les trois par une rafale tirée par la sentinelle.
Émile MANDEL et Eugène STEINER furent tués sur le coup. Joseph fut achevé à coups de pieds à la tête par les Allemands. La scène s’est déroulée ici à l’emplacement de la stèle, érigée après la guerre.
Les cinq rescapés qui avaient assisté à la tuerie furent sauvagement agressés par l’occupant. L’un d’eux, Robert PETRIN, fut tout particulièrement maltraité, mais les Allemands n’obtinrent aucune autre information des prisonniers.
Ils les obligèrent à aligner les corps des trois hommes, qu’ils venaient d’assassiner, côte à côte dans le chemin au pied du mur.
Enfin, les deux bûcherons se trouvant les pieds dans l’eau près de la fontaine furent autorisés à aller s’habiller.
La maison de la famille PEYRIN, la seule habitée en permanence, fut investie en même temps que les autres maisons.
Les occupants furent tirés du lit sans ménagement et sous la menace des armes.
Ils eurent tous droit, de la part d’un officier, à un interrogatoire musclé.
La famille PEYRIN fut confinée à la cuisine avec ordre de ne sortir sous aucun prétexte. Les Allemands effectuèrent une fouille complète des lieux. Dans une des pièces, ils regroupèrent et examinèrent l’ensemble des documents trouvés. À partir de ces papiers, ils purent déterminer l’identité et le parcours des 3 hommes qu’ils venaient d’assassiner. Ils auraient également retrouvé des documents datant de la captivité d’Eugène PEYRIN en Allemagne.
Suite à ces découvertes, le prisonnier Robert PETRIN fut une nouvelle fois interrogé sur les découvertes faites par les Allemands. Sans donner d’autres informations, il fut alors autorisé à rejoindre les autres prisonniers.
Ils alignèrent la famille PEYRIN devant un mur. Alors Eugène PEYRIN qui avait, pendant la première guerre mondiale, passé près de cinq ans en captivité dans un village allemand, s’adressa au chef du commando en allemand. Entretien qui a, sans doute, sauvé la vie de la famille.
Les Allemands demandèrent à la famille PEYRIN d’évacuer la ferme dans les meilleurs délais. Avant de les laisser quitter les lieux, un des officiers allemands reprocha vivement à Eugène PEYRIN d’avoir, même si c’était sous la contrainte, hébergé des « terroristes ».
Selon l’officier, son devoir aurait été de les dénoncer. Il demanda à M. PEYRIN de regarder les dépouilles des hommes morts et l’assura que c’était là le sort que l’occupant réservait aux « terroristes ».
Après avoir arraché les dents en or aux frères MANDEL, les Allemands firent transporter par les 5 prisonniers les corps de leurs trois camarades morts dans le grenier d’une des maisons.
Puis, ils y mirent le feu à l’aide de grenades incendiaires.
Après avoir dépouillé les cadavres, le détachement allemand se livra également à un pillage en règle des lieux, et emporta tout ce qui avait valeur à ses yeux. Linge de maison, provisions, seul un sac de farine put être sauvé par le jeune Pierre COLONEL.
Le bétail fut regroupé avec toute la basse-cour et descendu au bourg. Le maire fut chargé de faire transporter les animaux à Grenoble, ce qui fut fait par la suite.
Enfin, ils piégèrent toutes les constructions du hameau et leurs dépendances, seule l’habitation de la famille PEYRIN fut épargnée.
Le détachement allemand quitta Raccord vers 15 heures en direction de La-Motte-d’Aveillans en passant par le hameau des Côtes et, peu de temps après, toutes les constructions sauf l’habitation de la famille PEYRIN furent détruites par une très forte explosion.
Les Allemands emmenèrent avec eux les cinq prisonniers.
Au passage à La-Motte-d’Aveillans les allemands se livrèrent à d’autres exactions.
Le 31 mai et le 1er juin 1944
Le 31 mai, deux gendarmes de la brigade de La-Motte-d’Aveillans, à la demande du maire de La-Motte-Saint-Martin, se rendirent sur place. Ils constatèrent que quatre des cinq maisons avaient été totalement détruites. Celle d’Eugène PEYRIN ayant perdu la grange attenante. Dans les gravats de l’une des maisons détruites, ils découvrirent trois cadavres. Il s’agissait des frères MANDEL et d’Eugène STEINER. Le corps de Joseph était entièrement carbonisé, il sera reconnu grâce à sa dentition. Le corps de son frère était à moitié enseveli sous un amas de pierres, sa main gauche était carbonisée. Il portait plusieurs traces de balles. Le troisième, Eugène STEINER, dont le corps était resté accroché sur une des poutres du premier étage, portait plusieurs impacts de balles à travers ses vêtements léchés par les flammes. Les trois cadavres ont été mis en bière et descendu au village de La-Motte-St-Martin par des habitants du village.
Le 1 juin, vers 4 heures du matin les trois hommes furent inhumés au cimetière du village, à l’emplacement de la stèle. De très nombreux villageois très touchés et très émus assistèrent à la cérémonie.
Après l’inhumation, les rescapés se dispersèrent dans différents secteurs des Alpes.
Raccord, après 1944
Raccord est devenu un lieu de mémoire plus qu’un lieu de vie.
Après les évènements du 30 mai 1944, la famille PEYRIN retourna vivre dans sa maison à Raccord. Elle y demeura jusqu’au décès d’Eugène PEYRIN en 1950. Puis, le reste de la famille descendit s’installer au hameau des Côtes. Les maisons détruites par l’occupant furent laissées en l’état. La maison des PEYRIN endommagée fut réparée et les annexes détruites furent reconstruites.
Ce n’est pas par hasard que ce détachement allemand vint à Raccord le 30 mai 1944.
Le mode opératoire, la précision des informations dont il disposait, sa méconnaissance et la géographie des lieux, comme les nombreux témoignages recueillis, ne laissent aucun doute sur le déclencheur de l’opération par le SIPO-SD de Grenoble. Elle est consécutive à une dénonciation.
Les témoignages et les éléments collectés permettent d’affirmer que c’est une chaîne de dénonciations qui a conduit au drame que nous commémorons aujourd’hui. L’épuration extra judiciaire s’est chargée de « juger » et de condamner les responsables présumés. Tous l’ont payé de leur vie.
Aujourd’hui encore, le côté sommaire de la justice pratiquée explique, sans doute, le mutisme de certains.
Quant aux ignobles criminels du SIPO-SD de Grenoble qui, des mois durant, ont semé la terreur et la mort en Isère. Ceux qui ont organisé et perpétré, en ces lieux, les atroces crimes dont je viens de faire état. Malheureusement, s’ils ont survécu à la guerre, comme pour l’immense majorité d’entre eux, ils sont rentrés en Allemagne et ont repris leur vie comme s’il ne s’était rien passé, ni ici, ni ailleurs. Aucune cour n’a jamais eu à juger les crimes de Raccord.
Pour conclure
Permettez-moi de remercier tous ceux qui m’ont accueilli et m’accueillent chaleureusement, qui m’ont apporté et m’apportent leur aide et qui entretiennent la mémoire des victimes afin qu’elles ne tombent jamais dans l’oubli.